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Le blog de francois-mabille.over-blog.fr

La rencontre entre Trump et le Pape François

22 Mai 2017, 20:47pm

Publié par francois-mabille.over-blog.fr

Selon le Pew Research Center, les catholiques nord-américains ont accordé majoritairement leurs votes au candidat républicain. Il y a quelques mois, cette relative préférence pouvait permettre au président nouvellement élu de se montrer particulièrement hostile au pape François. Quelques mois plus tard, en grandes difficultés sur la scène intérieure, Trump a besoin d'engranger des soutiens à l'extérieur pour obtenir une pause dans la déliquescence de son pouvoir. Les données de sa rencontre avec le souverain pontife ont ainsi changé.

Les données structurantes : l'Eglise catholique aux Etats Unis

La situation présente des relations entre l' administration républicaine et les responsables catholiques de cette Église doit se comprendre en fonction de plusieurs données structurantes. Premièrement, aux Etats-Unis, l’Eglise catholique a traversée plusieurs décennies de scandales liés aux abus sexuels  mais elle retrouve désormais une certaine légitimité. Deuxièmement, l’opposition au parti démocrate s’est concentrée sur les conséquences de l’Obamacare envers les établissements hospitaliers catholiques, sur la personnalité d’Hillary Clinton (pro gender) et des positions de son entourage (critique sur le conservatisme de la Curie romaine). De manière globale, l’Église catholique qui, depuis la fin de la guerre froide, n’a plus à se positionner sur le communisme, se trouve confrontée, comme dans l’ensemble des sociétés, à une nécessaire reformulation de sa pensée et de ses pratiques à l’égard du libéralisme.

L’épiscopat américain, miroir des clivages catholiques

Le catholicisme est antilibéral dans le domaine de la morale personnelle, d’un libéralisme très tempéré dans le domaine économique, et globalement libéral dans son rapport aux régimes politiques. Or, sur ces sujets, on assiste aujourd’hui à un clivage interne aux responsables catholiques de la Curie romaine, clivage qui a des interférences avec la situation politique américaine.

D’abord, s’agissant de la morale personnelle, le clivage qui traverse la curie romaine oppose le pape, partisan d’une ligne pastorale de sollicitude, aux partisans d’une ligne doctrinale qui privilégie le rappel de la norme éthique. Cette divergence concerne les questions liées à l’avortement, l’euthanasie et l’homosexualité. L’un des principaux opposants au pape François est le cardinal américain Burke, archevêque de Saint Louis dans le Missouri, dont les positions sont relayées par le plus ancien journal catholique aux Etats Unis - le National Catholic Register - très conservateur et dirigé par un membre des Légionnaires du Christ. Burke est l’un des chefs  de file des catholiques américains très favorables aux conservateurs. Dans les priorités que l’épiscopat américain s’est données, les questions sociales et écologiques, pourtant suggérées par le pape, sont absentes, au bénéfice de thèmes classiques pour les conservateurs : évangélisation, mariage et famille, vie humaine et dignité, vocations et liberté religieuses. Le pape vient d’ailleurs de nommer Mgr Kevin Joseph Farrell, jusqu’à présent évêque de Dallas (États-Unis), à la tête du nouveau dicastère pour les laïcs, la famille et la vie.

Ensuite, dans le domaine du libéralisme économique, le pape a privilégié une ligne d’opposition forte, symbolisée par quelques expressions extrêmement médiatisées comme sa dénonciation de la « mondialisation de la misère » ou de la « globalisation qui exclut » ou son soutien aux migrants. Durant la campagne présidentielle américaine, en voyage officiel aux Etats-Unis, le pape a ainsi créé une polémique en critiquant les positions de Trump, « non chrétiennes » selon lui, sur la thématique de l’immigration. Or, les évêques américains viennent d’élire à leur tête le cardinal Daniel DiNardo, archevêque de Galveston-Houston, premier hispanique élu à ce poste et fervent défenseur des migrants. Si ce dernier est aussi celui qui encore tout récemment, présidait la commission des actions pro-life de l’épiscopat, il y a néanmoins là un indice d’une possible opposition frontale entre le nouveau président américain et l’Eglise catholique.

Troisième domaine : celui du libéralisme politique. Le pontificat de Benoît XVI a été marqué par une inflexion nette. Au nom de l’objection de conscience, les responsables catholiques refusent le fait majoritaire sur les sujets classiques de l’avortement, du mariage pour tous ou de l’euthanasie. Le pape désormais émérite a mis en avant ce qu’il a appelé des « principes non négociables », dont les conséquences ont été perceptibles dans la mobilisation des différents mouvements « pro-vie » dans les pays occidentaux : Etats-Unis, Italie, Espagne et France notamment. Or, sur ce sujet encore, il existe un hiatus entre la position du pape François et les évêques américains conduits par Burke. 52% des catholiques ont voté pour Trump, et le pape apparaît ainsi comme plus distant du nouveau président que ses coreligionnaires.

Mais il faut également tenir compte d'un autre acteur catholique de poids aux Etats Unis : les universités catholiques, réunies au sein de l'influente Association catholiques des universités et collègues américains (ACCU). Réunie pour son congrès annuel en janvier dernier à Washington, cette association adoptait une attitude critique de "wait and see" à l'égard de Trump, ordonnant ses réactions futures à la politique et la posture personnelle de Trump dans 4 domaines : le respect des femmes, le respect de musulmans, le respect des réfugiés, le respect de la liberté de recherche. Les événements récents au sein de la puissante Notre Dame University, qui ont vu des étudiants manifester contre Pence, constituent un indice d'une insatisfaction à l'encontre de la politique américaine : les décisions des premières semaines contre l'immigration ont marqué les esprits.

Qu'attendre alors de cette rencontre ?

Trump arrivera à Rome dans une posture ambigüe à l'égard de l'islam : soutien à l'Arabie saoudite wahhabite, relent d'accusation de Rogue State à l'encontre de l'Iran. Il y a fort à parier que cette politique binaire ne peut contenter les tenants du dialogue interreligieux et ceux des relations islamo-catholiques au sein de la Cure romaine, habituée à traiter de la complexité de ces enjeux avec une grande subtilité.

Par ailleurs, si l'on connaît la politique de "main tendue" de François dans bien des domaines, l'on sait également son combat pour la dignité humaine et donc en faveur des réfugiés. Des paroles fortes, qui sonneront comme autant de rappels à l'ordre, peuvent ainsi être escomptées.

Mais plus globalement, ce à quoi l'on risque d'assister relèvera d'une symbolique cruelle pour Trump. Les Etats-Unis, première puissance mondiale, n'assument désormais ni leadership politique, ni leadership moral dans les affaires du monde. C'est un Trump démonétisé qui va rencontrer un pape qui, au contraire, incarne aujourd'hui sans doute l'une des seules, sinon la seule conscience mondiale, en faveur des droits humains et de la paix. Il y a quelques mois encore, le pape devait se rendre aux Etats-Unis pour y faire entendre son message. C'est aujourd'hui le président américain qui doit sortir de son espace souverain pour restaurer sa crédibilité, si elle existe encore.

 

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