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Le blog de francois-mabille.over-blog.fr

Les catholiques et la paix au temps de la guerre froide

, 11:23am

“ Paix catholique ” : l’expression fait allusion à cet enseignement doublé de pratiques catholiques parfois encouragées, quelquefois blâmées, parfois en avance sur le Centre romain, quelquefois au contraire à la traîne, bref à un mouvement d’ensemble de l’Eglise catholique qui jette les siens dans le combat complexe en faveur d’une société internationale pacifiée. Ce mouvement d’ensemble constitue l’internationalisme catholique.

 

En France, l’enseignement international du Magistère est fréquemment occulté, au bénéfice de l’étude de l’enseignement social catholique. Ce dernier est présenté comme la matrice d’où se dégagerait progressivement un enseignement qui ne viserait plus seulement l’organisation interne de la société et de l’Etat, mais aussi l’imbrication progressive des sociétés et les rapports interétatiques. Cette vue par trop courte a déjà fait l’objet de critiques.

 

Il est vrai que le dossier de l’internationalisme est épais et oblige à varier les angles d’analyse. Il concerne des individualités catholiques mais aussi des collectifs organisés tant au niveau national qu’international ; il regarde aussi bien les Organisations Non Gouvernementales que les Organisations Internationales Catholiques[1], et oblige à analyser leur vocabulaire et ses variations.

 

L’ensemble concerne les relations entre l’Eglise catholique et les Etats, celles entre le Saint-Siège, les OIC et les Organisations Internationales (SDN puis ONU), avec, au cœur de ces tractations, les revendications croissantes de la conscience individuelle.

 

Eglise catholique, Etat et conscience, tel est bien le triptyque fondamental au sein duquel il convient de situer l’ensemble des études de ce livre présentées ici. Au sein de ce triptyque, se cache encore un élément structurant pour les deux acteurs nommés et plus globalement dans l’histoire des relations internationales : le territoire.

 

Territoire : il faut en premier lieu évoquer la relation de l’Eglise catholique au monde. Par ses textes fondateurs, l’Eglise catholique entretient un rapport  singulier à l’espace et donc au territoire. S’il existe des lieux de mémoire et de piété privilégiés (les Lieux Saints, Rome, etc.), l’Eglise catholique n’est nullement circonscrite à un territoire particulier. En cela, elle se différencie de l’orthodoxie essentiellement confinée à l’espace slave ou de l’Islam attaché à l’Umma.

 

Par son étymologie même, le catholicisme dit avoir partie liée à l’universel, donc à l’international et même au supranational comme l'affirmait Pie XII en 1945 ou encore en 1948. Et, de fait, il convient de rappeler qu’au début du 20ième siècle, l’Eglise catholique se présentait parfois comme la seule et véritable Internationale.

 

Pour l’Eglise catholique, le territoire est global : il est espace universel. Le Saint-Siège s’applique à le quadriller identiquement par ses propres structures organisationnelles : le diocèse et la paroisse, les mouvements. Ce quadrillage peut être conforme à l’organisation politique et administrative des Etats. Il peut s’en distinguer ou tenter de s’y adapter, rarement sans résistances d’ailleurs. Et si l’identité catholique peut se combiner avec le sentiment national, la dimension missionnaire et les intérêts institutionnels propres de l’Eglise peuvent diverger avec l’organisation spatiale politique.

 

Dans cette configuration, la Cité du Vatican joue un rôle symbolique. Il faut en effet convenir du découplage entre le Saint-Siège et la cité du Vatican, le second étant la base territoriale obligée du premier. Le Saint-Siège se comporte comme un Etat sans territoire ou presque, ce qui ne fait pas de lui pour autant un “ Etat faible ” ou un  “ quasi-state ”[2] et encore moins un “ rogue state ” ! Il entretient des relations diplomatiques et dispose à cet effet d’un personnel diplomatique. Yves de la Brière y voyait même-là le gage d’une reconnaissance internationale de la Souveraineté pontificale[3].

 

“ Puissance immatérielle et universelle ”[4], le Saint-Siège conclut des concordats révélateurs de rapports de force. Depuis 1945, il participe à de nombreuses organisations et concertations internationales. Ce n’est pas le moindre paradoxe, destiné à questionner l’internationaliste épris du rôle de l’ Etat et du concept de puissance, que de voir le Saint-Siège signer tel traité contre la prolifération nucléaire, s’engager aussi activement dans les concertations d’Helsinki ou encore, après avoir montré tant de circonspection au début du siècle à l’égard du droit des peuples à l’autodétermination, favoriser les nouvelles aspirations territoriales et étatiques au sein d’une Yougoslavie en déliquescence.

 

Acteur international privé d’une structure étatique classique ou instance morale pourvue d’un territoire symbolique - les “frontières de la grâce”, selon Philippe Levillain -, voire exemple quasi-paradigmatique d’ “ Internationale sans territoire ”[5] ?-, le Saint-Siège compte aussi sur des troupes d’un type particulier. Les “ divisions ” catholiques demandées de manière narquoise par Staline, ce sont notamment les mouvements catholiques internationaux présents au sein de différents pays, qui se regroupent dans des organisations internationales spécifiques, complétant ainsi le mouvement d’émergence des Organisations Internationales Catholiques qui ont vu le jour dans l’ombre de la SDN, sous l’influence de “ l’esprit de Genève ”

 

Comment caractériser cette politique et l’organisation complexe qui la sous-tend ? Il serait erroné en effet de s’en tenir à l’organigramme de l’Eglise catholique et de percevoir l’organisation catholique comme une hiérarchie dotée d’un centre omnipotent. La perte d’emprise de l’institution qui s’observe particulièrement dans le domaine de la morale privée s’observe tout autant dans les domaines sociaux, économique et politiques. Dès 1971, Paul VI reconnaissait la difficulté à proposer un message universel sur ces questions. Plus globalement, l’histoire catholique du 20ième siècle peut se lire dans le domaine international comme l’impossibilité pour Rome de réguler les initiatives internationales des catholiques.

Pour en savoir plus, commander l’ouvrage chez l’Harmattan :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=16245

LES CATHOLIQUES ET LA PAIX AU TEMPS DE LA GUERRE FROIDE

François Mabille


« Au temps de la guerre froide, le thème de la paix a longtemps structuré les débats entre l'Est et l'Ouest. L'église catholique s'est également lancée dans la bataille, devant l'influence grandissante du Mouvement de la paix auprès des catholiques. Cet ouvrage livre les aspects encore ignorés d'une contre-influence organisée à partir du Mouvement catholique international pour la paix Pax Christi, repris en main par la hiérarchie en 1950 et qui joua un rôle central dans la socialisation des catholiques en faveur de la paix et du développement, notamment lors du Concile Vatican II ».

 



[1] : les Organisations Internationales Catholiques (OIC) avaient parfois le statut d’ONG (Organisation Non Gouvernementale) mais pas toujours.

[2] : Cf Joël Migdal. Strong Societies and Weak States : State-Society Relations and Capabilities in the Third World. Et Princeton : Princeton University Press, 1998. Robert Jakson. Quasi-States : Sovereignty International Relations, and the Third World. Cambridge : Cambridge University Press, 1990.

[3] : La communauté des  puissances. D’une communauté inorganique à une communauté organique.  Paris : Beauchesne, 1932. Troisième édition. P.340.

[4] : id, p.343.

[5] : Cf “ L’international sans territoire. Sous la direction de Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts. Cultures et Conflits, n° 21/22, Printemps–été 1996.