Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de francois-mabille.over-blog.fr

Benoît XVI ou la désacralisation des souverains pontifes

18 Février 2013, 14:39pm

Publié par francois-mabille.over-blog.fr

Livre paru aux éditions du Cygne en mars 2013 "La décision de Benoît XVI de quitter ses fonctions est sans précédent dans l'histoire récente de la papauté. Est-elle le signe d'une transformation profonde de l'Eglise catholique, d'un nouvel "aggiornamento" ou la preuve d'une crise encore plus grave que celle du déclin déjà connu du catholicisme ? Cet ouvrage revient sur les différentes hypothèses qui conditionnent l'avenir de la papauté et sur la portée de l'événement. Il analyse les faits saillants du septennat de Benoît XVI, les ruptures déjà constatées entre Benoît XVI et Jean-Paul II. Il dresse également quelques uns des enjeux pour le futur proche du catholicisme." http://www.editionsducygne.com/

Voir les commentaires

Les dossiers qui attendent le successeur de Benoît XVI

17 Février 2013, 09:05am

Publié par francois-mabille.over-blog.fr

Benoît XVI fait entrer l’Eglise dans la modernité politique. Jean XXIII, en 1959, fit de même en annonçant la convocation d’un nouveau concile. Ces deux papes que tout oppose en apparence, ont toutefois un point commun. L’un et l’autre  furent élus âgés et donc considérés comme des papes de transition. De cette faiblesse apparente, l’un comme l’autre firent une force. Jean XXIII, sachant d’emblée que son pontificat serait bref, n’était lié à aucun courant. Il lance un processus, tout en se doutant qu’il n’aurait pas à l’accompagner. La faiblesse autorise la liberté. Il en va de même pour son lointain successeur, qu’une double fatigue physique et sans doute psychologique atteint, mais qui s’autorise très rapidement après son entrée en fonction, à émettre publiquement des doutes sur la durée de son pontificat.

Jean XXIII était italien, Benoît XVI d’origine allemande. La nationalité du pape importe sans doute, mais moins qu’auparavant. Car en dépit de la diversité de leurs nationalités, les cardinaux sont fréquemment passés par les mêmes filtres électifs de formation, et leur passage au sein des rouages de la curie romaine contribue à homogénéiser les parcours. Comptent essentiellement les expériences de vie, concrètes, au sein de cultures parfois extrêmement différentes et qui priment sur les spéculations touchant la nationalité. Etre non européen n’est pas un gage de libéralisme ou d’ouverture doctrinale 


Plusieurs dossiers importants attendent l’Eglise catholique.


En premier lieu, l’analyse du pouvoir réel du pape dans une Eglise qui affronte et qui vit dans la mondialisation, dans un monde dont les normes et valeurs ne relèvent plus de la culture catholique. L’extraordinaire personnalité de Jean-Paul II n’a pu empêché l’érosion du catholicisme européen. Le pontificat de Benoît XVI n’a pas plus enrayé le processus. Dans maints pays, les mobilisations catholiques n’ont pu empêché l’adoption de lois critiquées. Le catholicisme fait désormais l’expérience de son statut de minorité dans bien des sociétés. Comment faire pour que ce fait minoritaire ne se transforme pas en communautarisme ? Il s’agit là d’un enjeu pour le leadership pontifical, qui comporte des aspects organisationnels, doctrinaux et pastoraux : quelle mobilisation pour les années à venir, quel grand dessein proposer au peuple catholique ? La démission du pape estompe pour un temps la perception d’une Eglise gérontocratique, elle n’atteint pas les institutions de l’Eglise. Le conjoncturel n’est pas un gage de transformation structurelle.


Second enjeu : la confrontation avec le libéralisme. Tel est sans doute le principal enjeu pour les années à venir. L’aspiration à la liberté, aux libertés, la revendication des droits de la personne, de toutes les personnes, des minorités, de toutes les minorités, constituent des tendances profondes de nos sociétés démocratiques. L’autonomie de la conscience, le primat de l’expérience sont aujourd’hui l’alpha et l’oméga de la conduite des occidentaux. Le libéralisme touche tous les domaines, privés et publics, politiques et économiques, l’individualisme est la marque du temps, renforcé par les évolutions technologiques. Le libéralisme peut-il être compatible avec une institution qui dans son régime de gouvernance, son régime intellectuel, y est à ce point étrangère ? Comment de plus initier un processus de libéralisation sans condamner les attitudes qui furent celles des papes antérieurs, autrement sans se contredire ? Question inverse : le libéralisme, jusqu’où ? Dans le domaine économique, ce sont les excès du libéralisme qui sont aujourd’hui pointés du doigt. Dans le domaine de la revendication des droits, c’est la question de l’ordonnancement collectif de la vie en société qui est posée. D’autres Eglises, par ailleurs, se sont avancées dans la voie de l’acceptation d’une acceptation de la libéralisation des mœurs, sans que l’on puisse dire qu’elles s’en portent mieux.  Ces variations sémantiques autour de la notion de libéralisme sont l’indice de la complexité de l’approche, et du caractère réducteur d’une discussion autour du libéralisme. C’est donc à une réflexion approfondie sur le libéralisme, dans ses dimensions morales, économiques, politiques, historiques et philosophiques que le catholicisme de demain doit s’engager, sachant que le dossier est historiquement ancien même si la variable de l’anticommunisme l’a quelque peu occulté.


Demeurent encore trois autres dossiers.


Le premier concerne le droit dans l’Eglise catholique. Ce que les affaires de pédophilie ont montré concerne la connaissance interne que l’on a du droit canon, son application dans l’Eglise et son articulation au droit des Etats. L’Eglise est une société qui a son droit, mais ce droit n’est pas le droit normatif et régulateur des sociétés dans lesquelles évolue le catholicisme.

 

Second problème : la langue principale de l’Eglise catholique. Pour l’instant, c’est la théologie. Mais comme la philosophie, la théologie est aujourd’hui questionnée dans sa capacité à lire le monde et à dire l’expérience de la foi. Son langage est un langage vernaculaire réservé à des spécialistes. Sœur Emmanuelle, l’abbé Pierre ou Mère Térésa sont autant de figures appréciées des contemporains en dépit de discours parfois rudes. Aucun n’était théologien. Il ne s’agit pas de verser dans l’anti-intellectualisme, mais bien de soulever un écart croissant entre la langue à partir de laquelle l’Eglise se pense et se dit, et celle à partir de laquelle s’expérimente, dans beaucoup d’endroits, des expériences spirituelles qui se cherchent. Car le constat catholique magistériel d’un relativisme ou d’un indifférentisme généralisé relève d’un regard normatif et peu accueillant d’une réalité autrement perçue par les sociologues des religions notamment, et qui témoignent d’une explosion des demandes spirituelles. En France, des revues comme Nouvelles Clés, Inexploré voire Psychologies magazine, témoignent toutes de demandes de sens nombreuses. Ce sont ici des mondes qui coexistent et qui ne se rencontrent pas. Tel est le dernier enjeu pour le catholicisme : comment se mettre à l’écoute de ces attentes, comment accompagner des expériences qui, pour ne pas correspondre aux normes catholiques, n’en sont pas moins des réalités spirituelles souvent respectables et sincères ?

 

Voir les commentaires

géopolitique de l'environnement

17 Février 2013, 08:51am

Publié par francois-mabille.over-blog.fr

Parution de l'ouvrage coordonné par Valérie Fert et François Mabille : "géopolitique de l'environnement", aux éditions du cygne :

 

http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-enjeux-geopolitiques-environnement.html

 

Le dernier sommet de la Terre, tenu à Rio (2012) a manifesté l'échec des politiques publiques en matière environnementale. Pourtant, le risque environnemental est aujourd'hui l'un des plus urgents et des plus graves. La sécurité environnementale a été mentionnée pour la première fois dans le dernier rapport quadriennal américain de la Défense.

Cet ouvrage montre la complexité des enjeux, la globalité des menaces dans différents secteurs d'activité, et aborde le risque environnemental tant sous l'aspect micro-régional qu'international.

 

Voir les commentaires

Benoît XVI, la désacralisation des souverains pontifes ?

12 Février 2013, 14:48pm

Publié par francois-mabille.over-blog.fr

Benoît XVI entrera dans la postérité grâce à un geste inédit et, eu égard à son parcours, paradoxal : il est en effet le premier pape de l’époque moderne à démissionner, non pas poussé par un scandale, mais en raison de l’idée qu’il se fait de sa fonction, du rôle du pape dans l’Eglise catholique ; cet homme, extrêmement attentif à la tradition de l’Eglise catholique et à sa restauration dans bien des domaines, est celui qui aura posé un geste de rupture précisément à l’encontre de cette tradition. Comment interpréter cette initiative qui a pris de court bien des observateurs, à commencer par les catholiques eux-mêmes ? Premier constat : pour qui n’est pas atteint par le règne du soupçon, et de la méfiance systématique à l’encontre des personnes exerçant des responsabilités, la démission pouvait faire partie des scénarios prévisibles : dans son livre d’entretiens publié en 2010, le pape expliquait : « quand un pape en vient à reconnaître en toute clarté que physiquement, psychiquement et spirituellement il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer ». Cette phrase, passée à l’époque relativement inaperçue, était pourtant l’indice d’une évolution significative. Prise au sérieux, elle permettait d’anticiper sur la décision prise le 11 février 2013. Entrait ici, à l’évidence, l’expérience vécue : J. Ratzinger a assisté au long règne de Jean-Paul II et à son interminable crépuscule. La question de la démission du pape polonais s’était déjà posée, avec deux réponses possibles : l’alignement de l’exercice pontifical sur la normalité du pouvoir démocratique : empêché, un pape, comme un homme politique, doit démissionner. Pour ceux que cette comparaison pouvait choquer ou simplement à qui elle ne semblait pas pertinente, une autre solution se présentait : précisément par ce qu’elle n’est pas un régime politique, un « Etat », la gouvernance de l’Eglise peut témoigner d’une autre réalité : celle de la faiblesse assumée qui, dans un monde fait pour la « rat race », témoigne d’un autre système de valeurs que celui du beau, du jeune, du fort. Benoît XVI, confronté au même dilemme que son prédécesseur, a tranché différemment. Dissociant sa personne de la fonction, il privilégie le collectif sur la personnalisation de la fonction. Il existe d’autres enjeux possibles, que l’investigation journalistique et historique viendra peut être privilégier : les dernières années de Benoît XVI ont été fort difficiles, rythmées par sinon des scandales, au moins des affaires mettant à mal sa capacité à diriger le mamouth catholique : affaire Williamson, discours de Ratisbonne, faiblesse de la diplomatie vaticane au Proche Orient, affaire des fuites (Vatileaks), interrogations sur les connaissances réelles d’affaires de pédophilie par Joseph Ratzinger. Indéniablement, un malaise s’est progressivement installé, que la presse spécialisée a relayé de manière précise. Troisième piste : au-delà des raisons invoquées par le souverain pontife, en lien avec son âge et son état de santé, se pose aujourd’hui la question de la fonction pontificale, question qui est une véritable boîte de Pandore : quel mode d’élection ? Par quel collège (moyenne d’âge actuel des cardinaux : plus de 77 ans) ? Avec ou sans limitation de durée ? Quel pouvoir et quelle délimitation de ce pouvoir ? A ces aspects proprement politiques s’en ajoutent d’autres plus organisationnels : comment gérer aujourd’hui la diversité des catholiques, l’extraordinaire variété des cultures que le catholicisme entend évangéliser ? Dans un monde qui privilégie la rapidité de la communication et des réseaux, le partage d’information et la discussion, le débat, comment l’Eglise catholique, structure pyramidale, centralisée, aux traits de gérontocratie masculine, peut-elle assumer durablement sa présence ? Questions sociologiques : le monde contemporain se caractérise par son processus d’individualisation et d’auto-détermination personnelle, avec une forte progression de la revendidation de droits toujours plus spécifiques. Ces traits de la culture moderne contrecarrent directement l’Eglise catholique, dans sa pratique d’imposition de normes, de valeurs, d’une orthodoxie qui est aussi une orthopraxie ; ils s’opposent aussi au régime intellectuel du catholicisme, qui n’est guère un régime de tolérance, et encore moins un régime de discussion interne. Le départ volontaire du pape met fin à l’exception catholique millénaire en terme de gouvernance religieuse, renforcée lors du premier Concile du Vatican : l’extraordinaire mise en valeur de la figure du Souverain Pontife, à qui les attributs d’infaillibilité, dans des conditions spécifiques, furent conférés au 19ième siècle. Le pape, dernière figure de monarque, s’efface devant l’homme dissocié de la fonction pontificale. Retour à une souverain pontife normal ? En tout état de cause, le choix du pape est un choix de raison, ce qui est cohérent pour un pape qui a tant insisté sur l’harmonie nécessaire entre foi et raison. Choix de raison devant les exigences d’une tâche médiatisée qui s’accomode mal des rythmes propres à ceux de l’âge avancé. Choix de raison devant le fossé béant entre les dossiers à traiter, les défis de l’Eglise et une capacité d’action et de pensée désormais réduite ; choix de raison encore, inscrit dans l’inventaire du pontificat wojtylien et de la lente agonie quasi publique de Jean-Paul II. Fidèle à ce qu’il est, Benoît XVI a lu un texte annnonçant son retrait, sans emphase. Exercice logique pour un homme qui avouait se méfier des fièvres des JMJ. Ce départ inopiné du pape rend plus complexe la question de l’inventaire, voire des inventaires. Inventaire du concile Vatican II en premier lieu, qui était en cours dans le cadre de son 50ième anniversaire et que la démission de Benoît XVI vient bouleverser. Inventaire du pontificat de Jean-Paul II, riche en initiatives de toutes sortes, mais dont les lignes de forces s’estompent : durant ce pontificat, quelle part relève de la personnalité hors norme de Jean-Paul II, quels actes au contraire s’inscrivent de manière durable dans la stratégie pastorale et le patrimoine doctrinal du catholicisme contemporain ? Inventaire précipité enfin du septennant (2005-2013) de Benoît XVI : passant du règne au quasi-mandat, en quoi participe-t-il du long déclin du catholicisme occidental ? Sa décision introduit-elle au contraire un aggiornamento hors norme du catholicisme romain ? La question mérite d’être posée, eu égard au caractère fréquemment polémique qui a caractérisé l’action du souverain pontife, qui avait pourtant fait de la paix l’objectif de sa présence à la tête de l’Eglise catholique. A l’instar de ce qui a prévalu pour son lointain prédécesseur, Benoît XV, c’est à la montée d’un « non possumus » que l’on a assisté ces dernières années, avec de nombreux départ hors de l’Eglise catholique en Europe, et à un effacement devant la progression du protestantisme évangélique en Amérique Latine et en Afrique notamment.

Voir les commentaires

La démission de Benoît XVI : l'Eglise catholique entre dans la modernité politique

11 Février 2013, 12:46pm

Publié par francois-mabille.over-blog.fr

« Quand un pape en vient à reconnaître en toute clarté que physiquement, psychiquement et spirituellement il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer ». Ainsi Benoît XVI répondait-il à son  interlocuteur dans le livre d’entretiens, Lumière du monde, en 2010. Cette phrase, passée à l’époque inaperçue, était pourtant l’indice d’une évolution significative. Prise au sérieux, elle permettait d’anticiper sur la décision prise le 11 février 2013.

Benoît XVI aura ainsi bouleversé l’organisation de l’Eglise catholique et plus profondément, la compréhension de la nature de la charge pontificale.

 

On reviendra ici sur quelques traits marquants de ce bref pontificat.

 

Les spécificités de nouveau pontificat

 

Le pontificat de Benoît XVI est d’emblée marqué par une double originalité, de natures différentes. L’une concerne la vie de l’Eglise, l’autre fait appel à l’histoire contemporaine.

 

Tout d’abord, le pape est le dernier pape à avoir connu et participé à un événement majeur de l’histoire du catholicisme au 20ième siècle : le concile Vatican II qui s’est réuni en sessions annuelles de 1962 à 1965 à Rome et qui a contribué à socialiser et à faire émerger toute une génération d’hommes d’Eglise. Cette caractéristique cèle plusieurs aspects. Elle confère à Benoît XVI une légitimité particulière ; en même temps, avec son pontificat, les discussions sur le legs de Vatican II connaissent leur dernier éclat. A sa mort, et avec celle des hommes de sa génération, Küng par exemple, les textes conciliaires entreront dans l’histoire comme un héritage définitif et ne seront plus soumis aux aléas d’une discussion entre témoins.

 

Seconde spécificité : Benoît XVI est le premier pape, depuis un siècle, qui ne doit pas affronter doctrinalement et politiquement la doctrine communiste et un Etat éponyme, l’URSS. Tout le long du 20ième siècle, le catholicisme a été pris dans de ce que l’historien Emile Poulat a appelé le débat triangulaire : catholicisme, libéralisme et communisme. Le communisme, par son son projet philosophique et politique global d’organisation de la vie en société et entre Etats, a constitué à la fois une utopie et un absolu dont la disparition rend de nouveau possible le pluralisme des appartenances dans maintes sociétés. La disparition de l’URSS et du communisme prive le catholicisme de la figure principale de l’adversaire. De même que les Etats occidentaux, Etats Unis en tête, ont eu à reconfigurer leur politique étrangère et de défense en se demandant qui est l’ennemi, et le dernier sommet de l’OTAN n’y a pas fait exception, de même le Saint-Siège doit-il reconfigurer son positionnement géopolitique mondial en faisant face non plus à un Etat, mais à une philosophie politique et à un régime, la démocratie libérale, qui repose sur le pluralisme des opinions et sur le fait majoritaire.

 

 

Troisième particularité : le cardinal Ratzinger représente l’une des figures de l’intellectuel catholique dont la plausibilité est mise à mal depuis plusieurs décennies : né en 1927, ordonné prêtre en 1951, issu du catholicisme bavarois, le pape Benoît XVI est théologien, spécialiste de dogmatique, expert reconnu de Saint Augustin et de Saint Bonaventure.

 

Cet homme d’étude enseigne la théologie fondamentale et la dogmatique à l’Ecole supérieure de Freising, avant d’être nommé  au concile Vatican II comme « consulteur théologique » où son expertise porte sur ce qu’il considère comme central dans la vie de l’Eglise : la liturgie. Après avoir enseigné de 1966 à 1969 à la faculté de théologie de l’université E. Karl de Tübingen, il est nommé titulaire de la chaire de dogmatique et d’histoire des dogmes à l’université de Ratisbonne en 1969. Quelques années plus tard, il participe à la fondation de la revue théologique Communio (1972) et en mars 1977 Paul VI le nomme archevêque de Munich et Freising. Il est promu cardinal la même année, lors du dernier consistoire de Paul VI.

 

Si de nombreux média ont proposé à l’envi la figure du pape intellectuel pour caractériser Benoît XVI, il convient de mieux en préciser les contours et de revenir plutôt sur ce qui le caractérise comme théologien : spécialiste des Pères de l’Eglise, ayant fait sa thèse sur « la théologie de l’histoire chez Saint Bonaventure ». Ces deux aspects sont importants : le rapport de Ratzinger à l’histoire contemporaine se fait par le truchement d’une théologie et donc d’une philosophie de l’histoire qui intègre le temps long ; par sa structure intellectuelle interne, elle intègre comme noyau dur de l’histoire les temps fondateurs de l’Eglise catholique. Enfin, son rapport personnel à l’histoire passe par un dialogue intérieur, une interprétation par le prisme de cette théologie de l’histoire, telle qu’a pu l’enseigner l’un des théologiens allemands qui l’a le plus marqué, Romano Guardini, auteur de plusieurs ouvrages sur Saint François et sur la prière plus précisément. Benoît XVI est l’homme des « consideratio » de Saint Bernard, le « temps de l’examen intérieur ».

 

Benoît XVI est donc un « savant », et non pas un « politique ». Cette distinction webérienne explique le positionnement du nouveau souverain pontife et certaines de ses erreurs reconnues. Ainsi de son discours à Ratisbonne le 12 septembre 2006 : « j’avais conçu et tenu ce discours comme un texte strictement académique, sans être conscient que la lecture que l’on ferait d’un discours pontifical n’est pas académique mais politique. Une fois qu’il a été passé au crible politique, on ne s’est plus intéressé aux finesses de la trame, on a arraché un texte à son contexte et on en a fait un objet politique qu’il n’était pas en soi »[1] .

 

 

Dernière spécificité : privé de l’adversaire communiste, le catholicisme se trouve désormais confronté à la mondialisation, à une extension sans précédent du capitalisme, tandis que les deux vagues de démocratisation qui ont suivi la chute du mur de Berlin obligent de nouveau les responsables catholiques à s’interroger sur la place du religieux au sein de régimes acceptant le pluralisme éthique et politique. Or, historiquement, l’Eglise catholique entretient une relation difficile avec la pensée libérale. Il y a deux siècles, en 1864 exactement, un document resté célèbre, le Syllabus, condamnait déjà les dérives de la pensée libérale et luttait contre la liberté de conscience, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les droits de l’homme. L’acclimatation du catholicisme au libéralisme politique fut longue et non homogène à la surface du globe.

 

L’ensemble de ces débats traverse l’histoire de l’Eglise au 20ième siècle. Et d’une certaine manière, on peut estimer qu’à l’orée du 21ième siècle, la « question libérale » constitue l’un des principaux défis auquel l’actuel pontificat est confronté.

 

Trois aspects peuvent être ici distingués suivant les sphères d’activités concernée par l’approche libérale.

Dans le domaine moral, la critique de Benoît XVI porte sur ce qui est perçu comme risque de relativisme. Recevant en septembre 2010 les évêques brésiliens de la région Nord-Est, Benoît XVI a précisé les défis posés à l’Eglise brésilienne, en brossant un constat qui dépasse le et contexte brésilien. Tout comme il le fera quelques mois plus tard dans son livre d’entretiens, le pape dénonce « la croissante influence négative du relativisme intellectuel et moral dans la vie des personnes » (dans son livre, le pape use d’une expression forte : la « dictature du relativisme »), relativisme qui constitue selon lui le problème central que la foi chrétienne doit affronter désormais. Le relativisme est prioritairement une question philosophique et religieuse, et qui a trait à l’attitude que la conscience contemporaine, quelle que soit l’opinion professée, rencontre par rapport à la vérité.

Benoît XVI se bat contre le relativisme sur deux fronts :

- Le relativisme dans le domaine religieux, qui conduirait à estimer qu’il n’existe pas une voie unique pour le Salut (cf. Domine Jesus) et que les différentes religions peuvent être mises sur un pied d’égalité : d’où les critiques à l’encontre d’une certaine présentation du dialogue interreligieux qui, de facto, semble placer les dignitaires religieux sur le même piédestal ou qui semblerait indiquer qu’aucune religion n'entretiendrait un rapport de valeur absolue de vérité. Or il est important pour le christianisme, et plus spécifiquement pour le catholicisme, de se présenter comme « religio vera », comme religion vraie. Benoît XVI, dans son livre d’entretiens, insiste ainsi beaucoup sur la « primauté d’honneur », qu’anglicans et orthodoxes seraient prêts à lui accorder.

- Le relativisme dans le domaine moral, face auquel deux recours apparaissent : d’une part le recours intellectuel au « droit naturel » ; d’autre part, la présentation d’un front uni des religions contre les dérives constatées. L’œcuménisme prend ici une tournure nouvelle, enrôlé dans une lutte inédite. Ainsi Benoît XVI expliquait-il aux évêques brésiliens : « Le grand domaine commun de collaboration [entre chrétiens] devrait être la défense des valeurs morales fondamentales, transmises par la tradition biblique, contre leur destruction dans une culture relativiste et de consommation ; ainsi que la foi en Dieu créateur et en Jésus Christ, son Fils incarné».

 

L’inflexion du nouveau pape est plus nette vis-à-vis de la démocratie libérale. L’actuel pontificat de Benoît XVI se situe ici dans la continuité de l’action et de la réflexion du cardinal Ratzinger à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi. La pensée du cardinal allemand se laisse particulièment bien appréhender dans la « Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique » publiée le 16 janvier 2003. Ce document prenait place dans un contexte plus ancien lié aux parutions de Veritatis Splendor (1993), Evangelium Vitae (1995), Fides et Ratio (2000) et enfin la Déclaration Domine Jesus (2000), documents qui tous tentaient de spécifier la singularité de l’approche catholique et d’extirper les données de la foi de tout risque de relativisme et donc de tout libéralisme religieux et philosophique, en rappelant l’existence d’un ordre moral objectif accessible par la raison – thème dont on connaît désormais l’importance pour l’actuel souverain pontife. La Note doctrinale sur la politique s’appuie sur une philosophie politique qui pose l’existence d’un bien public commun, à savoir « la défense et la promotion de réalités telles que l’ordre public et la paix, la liberté et l’égalité, le respect de la vie humaine et de l’environnement », que la politique a précisément pour objet de promouvoir.

 

Si la Note pose un regard positif sur la démocratie, il s’agit néanmoins d’un soutien conditionnel, qui repose sur l’indexation du régime démocratique au respect de l’ordre moral objectif, donc de la « loi naturelle » qui vise le « bien intégral de la personne » (n°4).

La Note propose également, et c’est inédit dans l’enseignement social catholique, une relecture du fonctionnement politique démocratique : le fait majoritaire et donc le processus de production législatif, est sévèrement critiqué, ainsi que les conséquences des législations sur les comportements. Attitude libertaire, individualisme sont ainsi perçus comme étant à la fois sources et conséquences d’attitudes politiques dissociées de la recherche du bien commun et c’est donc un jugement de « décadence sociale » qui est posé et auquel les catholiques ont le devoir moral de résister et de s’opposer -  « les catholiques ont le droit et le devoir d’intervenir pour rappeler le sens le plus profond de la vie et des responsabilités qui incombent à tous en cette matière. Dans la droite ligne de l’enseignement constant de l’Église, Jean-Paul II a maintes fois répété que ceux qui sont engagés directement dans les instances législatives ont « une obligation précise de s’opposer » à toute loi qui s’avère un attentat contre la vie humaine » -

 

Sont ici concernés l’avortement et l’euthanasie, les droits de l’embryon humain, la politique familiale, l’éducation, la liberté religieuse, la paix. Conscient du rapport de force numérique, l’auteur de la Note met donc en exergue une culture catholique minoritaire (Benoît XVI, 7 ans plus tard, se prononce dans son livre pour un « christianisme de choix »), force de résistance dans un monde en déclin.

 

Quelles conséquences pour l’avenir ?

La décision de Benoît XVI marque l’entrée de l’Eglise catholique dans la modernité politique : elle signifie la fin de la particularité gouvernementale de la Cure. Si le prochain pape n’aura pas de mandat, en revanche, il aura une mission qui peut définie, circonscrite dans le temps.

Sa démission est également une façon de juger plus largement l’inadéquation entre la fonction pontificale et la gouvernance de l’Eglise : un monde d’hommes, et pour les cardinaux, d’homme dont la moyenne d’âge est très élevée au regard des normes internationales.

Le départ de Benoît XVI a également un impact sur la manière dont beaucoup considèrent le ministère pétrinien. Elle banalise la fonction et d’une certaine manière la fragilise tout en la modernisant.  Ce faisant, Benoît XVI introduit une rupture majeure dans le catholicisme contemporain, tout comme JeanXXIII le fit en convoquant un concile.



[1] Benoît XVI, op. cit., pp132/133.

Voir les commentaires