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Le blog de francois-mabille.over-blog.fr

François aux Etats Arabes Unis, enjeux d'un voyage

5 Février 2019, 16:42pm

Publié par francois-mabille.over-blog.fr

Le pape aux Emirats Arabes Unis : les trois enjeux d’un voyage

 

Le pape est arrivé le 4 février aux Emirats Arabes Unis, état fédéral composé de 7 émirats, ayant pour capitale Abou Dabi. Ce déplacement est important, non pas seulement pour la diplomatie religieuse mais plus globalement pour l’ensemble des sociétés soumises à des tensions liées aux identités religieuses.

Le contexte de ce voyage : ce déplacement s’inscrit dans le cadre d’une évolution positive des relations entre des responsables musulmans et le Saint-Siège. Ce dernier entretient des relations diplomatiques avec les EAU depuis mai 2007 ; c’est un nonce philippin qui représente actuellement le Vatican. Le communiqué publié il y a dix ans soulignait la volonté des deux parties de favoriser « une coopération internationale plus approfondie ». En mai 2010, le pape Benoît XVI recevait en audience le premier ambassadeur des EAU (une femme) et mettait l’accent à la fois sur la forte présence de travailleurs immigrés dans le pays mais aussi sur « l’existence de plusieurs églises catholiques construites sur des terrains donnés par les autorités publiques ». Si les EAU ne respectent pas les différents Déclarations et conventions internationales qui entendent régir la liberté religieuse, en revanche ils font montre d’une relative tolérance à l’égard des minorités religieuses qui peuvent pratiquer, dans des conditions précises et restreintes, leur culte.

En 2016, le pape a rencontré le prince héritier Mohamed bin Zayed Al Nahyan, entretien privé suivi d’une rencontre avec le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège. Le prince héritier et le cardinal Parolin ont supervisé la signature d’un Mémorandum prévoyant une exemption mutuelle de visas entre le Saint-Siège et les EAU pour les diplomates et porteurs de passeports diplomatiques. L’année 2019 est enfin, aux EAU, l’année de la tolérance.

Le voyage du pape est donc l’aboutissement d’un long travail diplomatique, initié sous Benoît XVI, lequel avait également lancé un processus de dialogue islamo-catholique. Si depuis dix ans, le vocabulaire diplomatique du Saint-Siège oscille dans sa désignation, au choix, d’un « dialogue inter-religieux » ou de « relations inter-religieuses » avec les représentants de l’Islam, tout en poursuivant une approche diplomatique favorisant le bilatéralisme avec les Etats musulmans,  le pape François enrichit ces approches par deux aspects qui lui sont doublement personnels : dans le domaine du dialogue inter-religieux, le pape insiste sur un dialogue prioritairement pragmatique et non théologique, centré sur des actions communes à promouvoir en faveur de la paix (objet de son actuel déplacement) ; de plus, l’accent est également mis sur l’importance des relations interpersonnelles entre leaders religieux : ici encore, il s’agit d’une pratique diplomatique usuelle, qui estime que la qualité des relations entre Etats passe par la cordialité voire l’amitié entre responsables politiques.

Dans ce contexte, le déplacement en cours présente trois enjeux majeurs.

1 – La place des minorités religieuses

En janvier 2016, les EAU ont organisé conjointement avec le roi Mohammed VI (Maroc et EAU sont de tradition malékite) une rencontre internationale sur les « droits des minorités religieuses dans le monde islamique », visant à revisiter la question. Une seconde réunion s’est tenue au Caire en 2017, organisée alors par l’université égyptienne d’Al-Azhar dont le grand imam, Ahmed Al-Tayeb, a été reçu deux fois à Rome par le pape. Le Conseil des sages musulmans, créé en 2014 par A. Al-Tayeb, participait à cette rencontre et c’est ce même Conseil qui accueillera ce 4 février le pape aux EAU. Le grand imam d’Al-Azhar recevra le pape aux EAU dans le cadre d’une rencontre sur la « fraternité humaine ». Rappelons enfin qu’en septembre 2017, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale avait été reçu par le pape, à Rome.

On retrouve donc ici une double caractéristique de la diplomatie pontificale : une insistance sur les relations bilatérales, d’Etat à Etat, qui vise à promouvoir la liberté religieuse pour les catholiques (liberté de nomination des évêques, liberté de culte notamment : rappelons que les chrétiens constituent le groupe religieux le plus discriminé dans le monde avec, selon l’ONG Portes Ouvertes, près de 4035 tués en 2017), et une articulation avec des enjeux plus globaux : ici la liberté religieuse, au sens des normes internationales, sans doute une insistance sur le traitement réservé aux migrants, et probablement une considération plus générale sur la paix dans le monde, avec le Yémen en arrière-plan.

2 – Le rôle du dialogue interreligieux

Dans la perspective du pape, le dialogue inter-religieux, ou les relations inter-religieuses ont une portée plus large que celle qui concerne les seuls acteurs religieux. Ces relations s’inscrivent dans le « service » que l’Eglise catholique peut rendre au sein des différentes sociétés où elle est présente. L’Eglise catholique se veut médiatrice auprès entre les Etats et leurs acteurs religieux, estimant concourir à un régime de tolérance et une pacification des sociétés en arrimant l’ensemble des acteurs religieux à un dialogue pragmatique.

3 – La lutte contre l’instrumentalisation politique du religieux

Dernier aspect de l’approche proposée par Bergoglio : le refus d’une instrumentalisation politique du religieux. D’où un refus systématique d’assimiler l’islamisme à l’islam et même de parler de « violence religieuse », voyant dans cette dialectique du substantif et du qualificatif une relation antinomique. D’où également un discours clair à l’encontre des populismes, de tonalité chrétienne, qui du Brésil à la Pologne, sévissent. Sans doute, dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, fait-il s’attendre à de nouvelles prises de position sur le sujet.

 

 

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