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Attentats au Sri Lanka : l'Église catholique, une communauté influente prise pour cible
Des attentats dans des églises et hôtels de luxe ont fait au moins 290 morts ce dimanche 21 avril au Sri Lanka. 
Des attentats dans des églises et hôtels de luxe ont fait au moins 290 morts ce dimanche 21 avril au Sri Lanka. 
©AP Photo/Eranga Jayawardena
Les attentats contre les églises sri lankaises de ce 21 avril 2019 visent les chrétiens, une communauté présente depuis plusieurs siècles dans le paysage religieux du pays, dont l'influence politique n'a cessé de croître. François Mabille, universitaire et spécialiste de la diplomatie vaticane, analyse le poids du catholicisme dans ce pays d'Asie du Sud.
 

Le Sri Lanka a été frappé dimanche par une série d'attentats contre des hôtels de luxe et des églises célébrant la messe de Pâques. Cette île d'Asie du Sud, peuplée de 21 millions d'habitants, n'avait pas connu de tels attentats depuis la fin de la guerre civile, il y a dix ans.


Dans ce pays à majorité bouddhiste, les chrétiens restent très minoritaires avec 7% de la population. Il n'empêche : l'Église catholique y est très influente, et respectée. François Mabille, universitaire et chercheur au CNRS au sein du Groupe Religions et Laïcités répond à nos questions. Il a entre autres dirigé "La longue transition du catholicisme. Gouvernementalité et influence", (Ed. Cygne, 2014). Il décrypte pour TV5MONDE le poids du catholicisme et le rôle des églises catholiques locales dans la résolution de la guerre civile qui a opposé les populations tamoules à la majorité cingalaise entre 1983 et 2009. 

TV5MONDE : Le pape François, en visite au Sri Lanka en 2015, a été accueilli par plus d'un million de personnes. Même chose pour le pape Jean-Paul II en 1995. Comment expliquez-vous une telle influence de l'Église, dans un pays où les catholiques restent très minoritaires ?

François Mabille:
La communauté catholique est bien perçue dans le pays. Elle est unificatrice. On trouve des catholiques aussi bien du coté cingalais que du coté tamoul. L'Église catholique a toujours soutenu les efforts de médiation dans le processus de paix, notamment celui sous l'égide de la Norvège, en 2010. L'Église catholique n'a jamais pris parti dans ce conflit (ndlr : le conflit entre les tamouls séparatistes et la majorité cingalaise entre 1983 et 2009 a fait plus de 70 000 morts et 140 000 disparus).

Les évêques locaux ont mis en place une Commission justice et paix, cherchant à favoriser la réconciliation entre les deux parties. Ce genre de commissions a été mis en place dans toutes les zones de conflit par les églises locales. Celle du Sri Lanka est particulièrement active.

L'Eglise catholique s'est également mobilisée contre toute forme de répression aveugle contre les tamouls par les forces de sécurité. Elle a demandé à l'armée de rendre des comptes devant la justice. L'influence politique de l'Église reste donc largement supérieure à son poids démographique dans la société sri lankaise.

Comment peut-on interpréter les visites de deux papes à vingt ans d'intervalle ?


La sortie du conflit entre tamouls et cingalais reste bancale. Le pape François en 2015 a voulu réaffirmer son soutien à ce processus de paix très fragile.

Le pape Jean-Paul II s'était rendu au Sri Lanka au plus fort du conflit en 1995, multipliant les appels à l'ouverture de négociations. Pour le Vatican, ce pays en Asie reste un laboratoire sur le dialogue interreligieux entre musulmans, hindouistes, bouddhistes et chrétiens. Benoit XVI a d'ailleurs béatifié un prêtre sri lankais.

La petite communauté chrétienne compte une dizaine d'évêques et un cardinal, Malcom Rajinith, que l'on pressentait comme un possible pape en 2013.  Le conflit entre tamouls et cingalais n'était pas un conflit religieux mais bien plus un conflit identitaire ou territorial.

Le pape François s'était rendu en 2015 au Sri Lanka, ici avec le cardinal Malcom Rajinith, pressenti comme un possible pape en 2013. 
Le pape François s'était rendu en 2015 au Sri Lanka, ici avec le cardinal Malcom Rajinith, pressenti comme un possible pape en 2013. 
AP/ Eranga Jayawardena

Le pays a une longue tradition de tolérance religieuse. Comment expliquez-vous les attentats de ce 21 avril 2019 ?

Les choses ont changé en un an et demi. On constate de nombreuses tensions entre bouddhistes et musulmans ces derniers mois. Fait inédit, un islam radical est apparu ces dernières années. Beaucoup d'ouvriers sri lankais sont partis travailler sur les chantiers en BTP des états arabes du Golfe, où ils ont été influencés par un islam wahhabite beaucoup moins tolérant vis-à-vis de la différence religieuse. Mais pour l'instant, les attentats du 21 avril 2019 ne sont pas revendiqués.

L'apparition également d'églises évangéliques aux méthodes prosélytes, contrairement à l'église catholique, a fragilisé l'équilibre religieux.
 
En 1995, le pape Jean-Paul II s'était rendu au Sri Lanka en pleine guerre civile (1983-2009) entre séparatistes tamouls et majorité cingalaise. Le pape avait multiplié les appels à l'ouverture de négociations de paix.
En 1995, le pape Jean-Paul II s'était rendu au Sri Lanka en pleine guerre civile (1983-2009) entre séparatistes tamouls et majorité cingalaise. Le pape avait multiplié les appels à l'ouverture de négociations de paix.
Compte Twitter du pape François


La communauté chrétienne du Sri Lanka, une communauté ancienne et influente

Le christianisme a été introduit au XVIe siècle par les missionnaires portugais.  À l'époque, la communauté catholique de l’île est fortement représentée chez les Tamouls des plantations de thé. Les Hollandais introduisent le calvinisme prôné par l’Eglise Réformée, et les colons britanniques sont à l’origine de la création de l’Église anglicane de Ceylan.

Aujourd'hui, dans un pays majoritairement bouddhiste (à 70%), le catholicisme reste prépondérant chez les chrétiens, et représente 90% de ses fidèles actuellement. Les musulmans représentent plus de 10% de la population, les catholiques 7,5%. Au Sri Lanka, le syncrétisme est de mise ; les pèlerins hindous, bouddhistes, chrétiens et musulmans s’acheminent ensemble vers le sommet de l’Adam’s Peak, lieu de pèlerinage pour les quatre confessions.

Deux décennies après Jean Paul II en 1995, le pape François avait effectué une visite dans l'île en janvier 2015, au cours de laquelle il avait célébré une messe devant un million de participants à Colombo, selon la police, 500 000 selon le Vatican. La police de la capitale avait estimé qu'il s'agissait de la plus grande manifestation publique dans l'Histoire du pays. Dans son sermon, le pape François avait alors insisté sur la liberté de croire sans contrainte dans un pays blessé par les tensions ethniques et interreligieuses.